vendredi 30 décembre 2011

Adieu maman

Elle est malade. Il a enfin eu le courage de couper les ponts et voilà qu'elle va de plus en plus mal... La maladie a marqué son corps, les os et les muscles ne font plus leur travail...
Des années qu'elle lui gâche la vie, comme elle a gâché son enfance, à coup de ceinture ou d'humiliations, elle qui était belle et excentrique, fascinante. 
Il se souvient trop bien de la "cage aux lion", chez ses grands-parents, cet immense lit à barreaux qui prenait tout un pan de mur et où ils restaient des heures, sa sœur et lui, pendant que les adultes recevaient des amis, à l'étage, ne voulant pas d'enfants entre les jambes. 

Il a grandi, il a construit sa vie, il a trouvé un métier malgré son incapacité à lire et à écrire, très forte dyslexie qui lui a valu des années terribles en pension dans un autre pays, loin des siens, jeune, bien trop jeune. Il a rencontré une femme incroyable avec qui il a fabriqué deux enfants magnifiques. Mais ça aussi, elle le salissait, ne pouvant s'empêcher de souligner tout ce qui n'était pas parfait, quitte à inventer un peu, remettant sans arrêt en cause sa capacité à être père...

Ils vivent tout près, se voyaient souvent entourés de la grande famille qui se réunissait au moindre prétexte, ou sans raison d'ailleurs, pour le plaisir. Il a tenu des années, sentant la colère monter peu à peu, il ne pouvait plus vivre dans son ombre effrayante. Alors un jour il lui a dit : "C'est fini, je ne te parlerai plus, je ne te verrai plus. Je n'en ai plus envie". Elle a voulu à toute force lui faire dire pourquoi. Il a refusé. Elle devait bien le savoir tout de même ! Et il savait bien ce qui suivrait, elle n'entendrait pas, parlerait de sa souffrance de mère, le culpabiliserait. Il en a fini. Il a besoin d'avancer, de construire. 

Elle était malade et les proches bien intentionnés ont voulu faire jouer la corde sensible, les réconcilier à tout prix. Pour la beauté du geste. Parce que la famille c'est sacré. 
Il a tenu bon. Il n'allait plus aux réunions en petit comité, et l'ignorait quand ils se trouvaient au même endroit. Il a commencé à respirer, enfin. Il s'est senti entier, il s'est senti exister. 

Mais voilà que la maladie fait rage, s'accélère. Elle décline rapidement, ne peut plus rien faire seule, a de plus en plus de mal à bouger, à parler. Et le désespoir dans ses yeux crie l'injustice de la trahison de son corps, elle qui aimait tant vivre, elle encore jeune... Elle est devenue encore plus invivable, capricieuse, exigeante. Elle a toujours eu le malheur généreux, il rejaillit sur ceux qui l'aiment. Son mari, les yeux pleins d'amour, encaisse et fait de son mieux. Il l'a tant aimée, il l'aime tant, encore. Ce petit bout de femme à moitié folle qui a toujours tyrannisé tout le monde, lui le premier, celle qu'il a épousée alors qu'elle était encore si jeune, presque une enfant, elle était si belle dans sa robe blanche, elle avait dix-huit ans, dix ans de moins que lui. Il n'a toujours su lui dire que oui... 

A lui leur fils parle encore. Malgré les coups de ceinture. Parce que le reste était bien plus nocif...
Les pressions familiales s'accentuent et il tient toujours bon. Il n'ira pas voir sa mère. Il n'ira plus. Elle lui défait sa vie, même ainsi diminuée...

Le temps avance et la maladie avec lui, à une vitesse incroyable. Et voilà qu'elle ne peut plus vivre chez elle, on l'installe contre son gré en appartement médicalisé. Et voilà qu'elle ne peux plus parler. Et voilà qu'elle perd de plus en plus la tête...

Alors il cède. Il ira la voir. Sa mère. Cette femme terrible qu'il a tant aimé. Il a attendu si longtemps qu'elle l'aime, qu'elle le voie enfin, lui tel qu'il est, qu'elle soit fière de lui. Il a beau faire le fier la plaie du petit garçon est encore béante. Ils ne parlent pas. Elle ne peut plus, et il n'y a rien à dire. Juste la souffrance de la haine et de l'amour, mêlés, liés. Nous aurions tant pu, j'aurais tant voulu ! Il n'y a rien à dire, ils se regardent. Il est triste pour elle, elle ne méritait pas ça, jamais. Il est triste pour lui et pour le petit garçon qui souffre à l'intérieur de lui. 

Adieu, maman.

jeudi 29 décembre 2011

La Blanche et la Noire

Elle gît abandonnée, semblant fille légère
Nue, offerte, exposée au regard ténébreux
Mais sur ses joues paraît une rougeur passagère
Criant la gêne cachée sous les airs langoureux

Elle est assise là, sculpturale, immobile
Seule la fumée rougeoie et exhale un murmure
Elle semble indifférente, lointaine captive docile
Mais son regard flamboie sous la sombre verdure

Nulle ne sait qui des deux est la maîtresse ici
Les rôles sont inversés et les faiblesses aussi
Aux plaisirs interdits elles donnent droit de séjour

Sans un mot, sans un geste, un regard a suffi
La maîtresse qui fut fière à l'esclave obéit
Sur la honte, le défi, pâle se lève le jour





La Blanche et la Noire, Felix Vallotton