mardi 7 février 2012

Cette femme qui est la mienne

Elle est dans la cuisine et  se prépare un café. J'évite de lui parler, nous savons tous les deux qu'elle n'est pas du matin. Je ne lui parlerai pas beaucoup plus ensuite cela dit. Je ne sais pas quand nous avons cessé de parler. Je me souviens si bien de ces longues discussions jusque tard dans la nuit, nos élucubrations sur le sens des choses, arrosées d'un peu trop de bon vin. Nous étions vivants, alors, et je puisais dans ses yeux la sève de mon être.

Et les mots se sont tus, les années ont filé. Je crois que jour après jour nous avons appris à nous désaimer. Je ne prenais plus le temps de la voir, de l'entendre, c'est vrai. Mais pourquoi donc n'avons-nous rien vu ? Nous aurions pu nous réveiller. Moi, je sais maintenant que j'aurais voulu.

Elle a des gestes sûrs, les mêmes depuis trente ans. J'ai cette impression ridicule qu'elle n'a jamais été aussi belle que ce matin. Son visage un peu marqué par nos moments partagés, les beaux, les durs. La résille posée par l'âge autour de ses yeux semble donner encore plus de profondeur à son regard si loquace. Le temps y a ajouté comme une douceur, comme une dureté aussi, qui cohabitent étrangement. Elle a toujours un port de reine malgré ses épaules un peu affaissées. Je regarde ses mains, si belles d'avoir vécu, d'avoir tant caressé, soigné, tenu, serré... Ses mains douces et violentes, mains de mère, mains de femme. Ici aussi la vie a marqué son passage à coup de rides discrètes qui me donnent une envie furieuse de les embrasser, ces chères compagnes.
Son ventre un peu bombé, un peu relâché d'avoir porté nos enfants, son ventre qui garde visible le souvenir d'avoir été maison, ces moments si forts, si drôles, difficiles aussi parfois, du miracle incongru de la mère qui en elle porte l'enfant. Que j'aime ce ventre qui appelle mes paumes !

Pourtant je ne l'approcherai pas. Je la regarde encore, si belle, et ses hanches encore fermes sur lesquelles d'autres mains que les miennes se posent avec passion. Que lui dit-il après l'amour ? Cet homme qui n'est pas moi dans le lit de ma femme...

Pourquoi, comment en sommes-nous arrivés là ? En moi le gouffre de souffrance apparaît à nouveau, un trou sans fond, un précipice. Et je me sens ouvert en deux et j'ai envie tout à coup de vomir pour de vrai cet échec qui fait si mal. La douleur se fait colère, je ne souffre plus, je suis furieux.

Je la hais de l'aimer encore. Je sais que je ne pourrais pas lui dire que je sais, c'est au-dessus de mes forces de me l'entendre dire, de le regarder en face. Alors, encore, je l'ignorerai. Je jouerai l'indifférence. Et les mots qui sortiront de ma bouche seront vides ou agressifs. Je nourrirai sa fuite, son besoin d'ailleurs. Le serpent se mord la queue.




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