jeudi 26 janvier 2012

Explosion

C'était un matin de septembre et je me souviens encore du goût de l'ennui sur les pages des cours. Nous étions assis en rond, tous les seize, écoutant je ne sais plus qui nous expliquer je ne sais plus quoi. D'âges et d'origines différents, tous assis là pour tenter d'obtenir l'année suivante le diplôme qui nous lancerait dans le monde ou nous donnerait un nouveau départ.

Un matin comme les autres, une pièce au rez-de-chaussée avec de larges fenêtres laissant entrer les flots de soleil. Dix jours avant le monde entier avait été secoué par l'écroulement de deux tours jumelles à l'autre bout du monde, le choc n'était pas tout à fait digéré encore.

Il y eut un bruit, d'abord. Blanc, sec, assourdissant, pétrifiant. Le temps d'un coup s'arrêta. Il n'y eu que l'étonnement, quelques regards échangés. Pas même le temps de se demander ce que c'était. Puis l'immense secousse, comme si la terre d'un coup se mettait à trembler dans cette ville où elle ne tangue jamais. Avant que la secousse ne se termine, la terreur fit irruption d'un coup : toutes les vitres éclatèrent en même temps. C'est à ce moment précis que la peur saisit nos consciences et que le silence cessa. La débâcle, voilà la seule chose que nous fumes capables d'agir. Je me suis retrouvé à quatre pattes sous ma table tandis que d'autres couraient en tous sens, que quelqu'un bondissait au-dessus de moi, franchissant meubles et personnes. Je traversai la pièce ainsi, passant sous les tables jusqu'à la porte. Ce n'est qu'une fois sorti que je fus capable de penser. Les autres ? Je fis demi-tour et regardai dans la pièce ceux qui s'étaient figés commencer à suivre le mouvement de fuite, aidés des autres. Je prêtai ma main, mon bras. Nous sortîmes plus posément, je me retrouvai dehors une deuxième fois.

Etudiants et enseignants, tous étaient là, hagards, dans un silence pesant. Puis peu à peu les murmures puis les discussions s'éveillèrent. Certains parlaient de fuite de gaz dans l'immeuble, d'autres affirmaient que c'était la guerre. Le directeur prit la parole. Il dit qu'il venait de l'extérieur et qu'il avait des informations. Une usine aurait explosé. Une histoire de produits chimiques. Personne ne savait s'il s'agissait d'un accident ou d'un attentat mais on aurait vu des avions. Il nous dit de rentrer chez nous.
Evidemment ce fut la panique. Il y eu quelques hurlements hystériques, une personne défaillit. Tout le monde se jeta sur son téléphone portable mais les lignes étaient totalement saturées. Je réussis par miracle à joindre mes parents pour les rassurer. Je ne pus leur parler à nouveau que quarante-huit heures plus tard.

Nous sortîmes, quelques amis et moi. Les rues avaient une apparence étrange et glaçante, tout était beaucoup trop calme, un silence lourd entourait choses et gens. Il y avait peu de monde et ils étaient par petits groupes silencieux, les yeux éteints, nous étions tous encore sous le choc. Nous étions loin des lieux les plus touchés, ici à peine quelques saignements dûs au verre. Pourtant, partout dans les rues, plus un bâtiment n'avait de fenêtre.

Nous passâmes devant l'appartement de l'une d'entre nous et nous arrêtâmes un moment pour écouter les informations. L'accident était probable. L'usine de produits chimiques AZF venait d'exploser, Toulouse était ville sinistrée. Nous restâmes un peu ensemble puis chacun rentra chez soi, afin de mesurer l'ampleur des dégâts. Par miracle l'unique petite fenêtre de mon appartement d'étudiant était intacte. Quelques voisins avaient été touchés, mais chez moi rien du tout. Une fois le soulagement passé je me sentis très seul et très vide. Je pris mon chat, le mis dans sa boîte de transport et sortit. Je me mis à errer dans les rues désertées ne sachant que faire ni où aller. Partout une seule consigne envahissait les radios, les télévisions, les paroles des gens. Il y avait probablement un nuage toxique. Il fallait rentrer chez soi et se calfeutrer.
Se calfeutrer !
Dans la ville où plus une seule fenêtre ne restait.
Seul, sous le choc et perdu, mon chat sous le bras, je me mis à rire. Je ris, je ris, je ne pouvais plus m'arrêter.
"Calfeutrez-vous !"

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