dimanche 15 janvier 2012

Aux portes du désert

Un homme est là, qui nous attend. Il a la peau parcheminée, cuite par le soleil. Dans ses yeux sans fond s'attarde comme une odeur de mystère. Il y a près de lui deux dromadaires récalcitrants qu'il fait asseoir sur la terre poussiéreuse.

Nous sommes venus en jeep, de notre hôtel un peu plus loin, un peu moins grand, un peu plus vrai que les immenses bâtisses au pied des dunes.

L'homme au visage sévère et ourlé du bleu de son chech ne parle pas un mot de français, il ne travaille pas pour l'hôtel. Nous communiquons par gestes et j'aime que ça passe par le visuel, les regards, le silence. Nous montons sur les bêtes et commençons à avancer, vers les dunes de miel du presque désert, la porte du Sahara mais qui ne l'est pas tout à fait, les dunes de Merzouga.

J'ai enlevé mes chaussures, le sable est tiède en cette fin d'après-midi, et les poils du dromadaire sont doux contre ma peau. Nous avançons en nous balançant au rythme des animaux, mon tout récent mari sur une autre bête derrière moi et l'homme à pied devant nous qui tient la longe. Tout est silencieux. Bientôt nous n'avons que les dunes de sable fin à perte de vue, il n'y a rien d'autre de vivant que nous et nous touchons enfin un peu à cette magie de l'infini face à soi. Le temps et l'espace sont suspendus, le soleil et le sable sont d'une tiédeur caressante et la lumière rosée du soleil couchant répond à l'ocre du sable qui nous entoure.

Nous faisons une pause, l'homme couche les bêtes et nous marchons un peu, mes pieds nus sur le sable doux, main dans la main, parlant d'éternité. Du haut d'une dune nous voyons la ligne droite de l'horizon entre le ciel et la terre désertique noire qui entoure ce morceau de désert. Je m'arrête soudain et soufflée par la beauté du spectacle pointe du doigt l'immense tourbillon de sable au loin, dont la spirale blanche tranche sur le noir immobile. Nous prenons quelques photos, redescendons.

L'homme n'est pas loin et nous fait signe. Nous ne comprenons pas ce qu'il veut dire, mon mari lui tourne le dos, je dois le tirer par le bras. Puis je saisis, il veut que nous nous asseyons, vite, contre les dromadaires. Dans le même temps la couleur du monde change tout à coup. Tout devient orange, la lumière se transforme brusquement et le ciel prend la teinte du sol. Rapidement l'homme rapproche les deux dromadaires, sort de sous les selles un tapis, nous en recouvre et vient s'asseoir contre nous, sous le tapis. Le temps s'arrête, nous sommes là tous les trois, les uns contre les autres, ne pouvant plus bouger, enfermés sous le tapis, le dos contre les bêtes assises, il n'y a plus de notion d'intimité qui tienne. Dehors la nature se réveille, se révolte. La tempête de sable est sur nous. Le sable vole, le sable crisse, le sable fouette. Je ne sais pas s'il s'est passé une minute ou une heure, avec pour seul horizon un morceau de tapis, le sable fou essayant d'entrer par le moindre interstice, que nous rebouchons prestement, tous les trois, souffle contre souffle, chaleur contre chaleur, sans bouger, sans un mot.

Soudain, le silence, immense, immobile. L'homme enlève le tapis et se relève, toujours très calme. Nous émergeons et tout autour de nous semble identique à ce que c'était avant, comme s'il ne restait rien de cette parenthèse époustouflante. Le soleil descend encore vers la terre. Nous remontons et nous asseyons, mais les touristes affluent, petits groupes suivant de jeunes guides coiffés de tissus multicolores, baratineurs et volubiles, déclinant en plusieurs langues un interminable discours. C'en est fini de notre silence, de notre infini. Ils viennent de partout et tâchent le sable immaculé. Nous partons.

Peu après, cachés entre les dunes basses et ne voyant à nouveau plus personne, l'homme nous propose une nouvelle pause. Il sort de son petit sac en peau quelques fossiles polis, et nous propose, sans dire un mot, l'air indifférent, de les acheter. Nous marchandons pour la forme et lui achetons, un peu trop cher, nous le savons, deux petits objets dont nous n'avons nulle envie, nul besoin. Qu'importe, nous savons précisément ce que nous faisons, et peut-être lui aussi. C'est notre manière, à défaut de mots, de le remercier pour ce moment, lui qui connait cette terre et n'a pas eu peur de la tempête (annoncée par la météo, nous l'apprendrons plus tard), lui qui nous a offert cette parenthèse d'émotion et la solitude apparemment si rare en ces lieux. Lui qui nous a ouvert un peu les portes du désert.

Nous revenons d'où nous sommes partis. Nous attendons la jeep qui n'est pas là, qui ne vient pas. La nuit tombe doucement. Nous sommes seuls et sans rien, mais attendons sagement, le temps n'a plus de sens.  Peu de temps après un jeune garçon arrive. Il nous fait signe de le suivre, dit quelques vagues mots "Pas jeep. Téléphone. Attendre. Viens"
Nous arrivons près d'une cahute blanchie à la chaux. Dehors parmi quelques hommes nous reconnaissons notre guide. Certains sont assis par terre ou accroupis, d'autres debout. Ils nous font signe de nous approcher. Au milieu un minuscule feu, et, sur deux briques, une petite théière qui chauffe doucement. Nous nous asseyons avec eux, les mots sont rares, les regards aussi. L'ambiance est détendue, simple. Nous sommes juste là, ensemble, nous réchauffant les mains et la gorge à nos verres de thé à la menthe. Je n'ai jamais bu de thé aussi bon. Il y traînait une générosité simple, du sable tiède couleur de miel, une tempête orange, un homme aux yeux sombres et au chech bleu.





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